Chez les Amérindiens…
On dit que l’aigle est le seul à pouvoir regarder le soleil en face. Comme il s’agit d’un symbole, peut-on dire qu’en regardant en soi le soleil spirituel, on peut puiser dans cette justice intérieure ?
L’aigle est la créature qui vole le plus haut et, par conséquent, le plus près du Grand Esprit. La justice est la valeur qui permet de ne jamais se couvrir les yeux devant les agissements des hommes – quels qu’ils soient – et donc, de ne jamais obéir aveuglement à une loi. Elle permet de parler en pleine conscience, de toujours devoir dire la vérité.
La justice donne au coeur la force de toujours pardonner. Il s’agit du pardon de l’Indien, qui n’est pas celui des catholiques. Notre pardon ne doit jamais engendrer une quelconque injustice. La prière du guerrier le dit et c’est pourquoi nous n’avons jamais développé d’armes de destruction massive.
La justice et la liberté sont indissociables.
La justice est inhérente au grand Cercle sacré de la vie, dans lequel toutes les créatures sont interdépendantes et où aucune ne doit démunir une autre, même pas la “bête à deux pattes”. De là, nous tirons notre plus profond respect pour l’environnement et tout ce qui vit. C’est le même esprit de justice qui nous fait demander à l’arbre de le prélever pour un besoin juste. Pourquoi en couper dix pour ensuite ne sélectionner que le plus beau? Là, commence l’injustice. Seul l’arbre qui devient un outil, qui chauffe notre maison ou participe à la construction de notre tipi, continue de vivre dans le grand cercle sacré de la vie. Nous sommes alors capables de voir en lui l’histoire de notre vie.
La justice, chez les Amérindiens, s’étend à toutes les créatures qui existent sur Terre. Pourquoi la justice amérindienne est-elle si importante ?
Principalement parce qu’il n’y a pas d’écriture, donc pas de livre. Autrement dit, lorsqu’on parle, on doit toujours être vrai et la parole doit être une parole d’enseignement. Si elle n’est pas authentique et juste, elle engendre immanquablement une injustice, ensuite le non-respect puis la guerre et la destruction. Le Ouampoum représente la loi de justice fondamentale. Chaque brin nous rappelle comment on doit traiter les hommes (grand cordon), les femmes (cordon moyen) et les enfants (petit cordon). Le cordon supérieur est le lien spirituel qui nous unit au Créateur; là, se trouvent les enseignements du Grand Esprit. Lorsque nous nous réunissons pour régler des problèmes, celui qui s’exprime prend le Ouampoum en main. Sa parole est alors reliée à l’ensemble de la Création et elle ne peut aller à l’encontre de ses lois sans engendrer de funestes conséquences.
Avec le grand Cercle sacré de la vie et le Ouampoum, on comprend mieux que la vie spirituelle nous unit, de quelle manière elle nous relie et comment toute action entraîne une réaction. On comprend aussi qu’il n’existe pas de créatures plus importantes que d’autres.
Toutes les pollutions perpétrées sur terre, dans l’eau, dans les airs sont la marque de l’injustice humaine envers la création. Cette agression envers l’environnement se prolonge dans le fait que l’on finit par abuser des femmes et des enfants.
La valeur de justice incline donc à la reconnaissance, au respect de soi-même et des autres, de la nature et de toute création. L’enfreindre va à l’encontre des lois de l’harmonie et d’équilibre et engendre inévitablement la guerre.
La justice nous fait réfléchir sur nos actes et leurs répercussions dans notre quotidien et notre environnement. Elle nous guide quant à l’utilisation appropriée des ressources de la planète. Établir des frontières, ériger des barrages, décider d’un parc “naturel” et établir un sanctuaire donnent le sentiment qu’en dehors de ces “limites”, tout est permis: polluer les rivières, pêcher, “surchasser” et, en plus, contraindre les autochtones à rejoindre des “réserves”! En agissant ainsi et en se donnant une bonne conscience de protecteur, l’homme a perdu le sens de la justice.
La justice des hommes est celle qui juge, condamne et punit ! Très peu de gens évoque la justice qui relie l’être humain à son prochain et à sa planète, celle qui lui donne sa véritable dimension à travers sa responsabilité.
L’homme oublie que les institutions supérieures qui le gouvernent ne sont pas toujours démocratiques – je pense qu’elles ne le sont presque jamais. Il prend des décisions unilatérales, donc sans consultation, parce qu’il s’est doté d’une légitimité à travers ses propres lois et un vote! Le modèle amérindien repose sur le consensus. Pour que toute décision soit juste, elle doit tenir compte de l’intérêt de l’ensemble des “sociétés” qui composent la communauté: la société des femmes, celle des chasseurs, des pêcheurs, les sociétés spirituelles, celles des arbres, des animaux, etc.
La justice est inhérente au grand Cercle sacré de la vie, dans lequel toutes les créatures sont interdépendantes et où aucune ne doit démunir une autre, même pas la “bête à deux pattes”.
L’état actuel de notre planète montre bien qu’un comportement sans conscience est préjudiciable à l’homme lui-même. Les Amérindiens utilisent un autre symbole, le bâton de parole.
En effet, celui qui prend le bâton de parole dans ses mains peut parler tant qu’il veut. Il prend ainsi très vite conscience de la responsabilité qui lui incombe. Il a également le pouvoir d’être entendu, de ne pas être interrompu et d’être respecté dans son avis. La personne suivante, en prenant le bâton de parole, sait qu’elle doit respecter l’opinion émise par les participants et, si son opinion est différente, elle doit l’exprimer avec respect et avec justice.
Dans la tradition amérindienne, la justice est donc souvent transmise par la parole, celle des anciens entre autres, des sages. Mais en quoi cette parole est-elle juste ?
Elle est juste parce que chez les Amérindiens, traditionnellement, il n’y a pas de jugement, pas de sanction. La peine de mort et la prison n’existent pas dans notre culture, pas plus que de textes sacrés comme ceux de la Bible, du Coran ou de la Torah. Nous considérons que c’est notre parole qui doit être sacrée, entière et intègre.
Finalement, votre livre de justice est celui de la vie. C’est le livre du grand Cercle sacré de la vie que le peuple Amérindiens porte en respect, qu’il doit développer et cultiver toujours sans relâche. Les propos disent que c’est la vie qui rend la justice. En étant conscient, en allant à la rencontre des autres, de la nature, on rend justice simplement à travers un comportement et à une façon d’être adaptés.
Dans le monde occidental, aucun homme ne fait sa loi et c’est un gouvernement qui la lui impose. Chez nous, chaque homme fait sa propre loi et la société n’est pas obligée de lui en imposer une. Faire sa propre loi et la suivre relève d’une profonde sagesse car cette démarche implique d’être en concordance permanente avec la loi naturelle, la loi de la vie. C’est cela, la vraie justice, celle de la Cérémonie du calumet que l’on fume chacun son tour. Une cérémonie de remerciements, d’événements qui rend grâce, qui rend justice.